mardi 26 mars 2024

COMMENT ILS NOUS ONT « COUILLONNÉ » : 40 ANS DE « MAINS DANS LE CAMBOUIS » LIBÉRAL. VOILA POURQUOI NOS PENSIONS SONT SI BASSES !



Action combinée du "Gang des Vieux en colère", des CSC Seniors et 
des Pensionnés et Prépensionnés FGTB -Gare centrale Bruxelles-
contre la suppression par la SNCB du tarif senior (février 2024)

 

Le mercredi 13 mars 2024, dans le débat des présidents de parti à la RTBF le président du PS, Paul Magnette, s’est permis de qualifier « ceux du PTB », donc ses 25000 membres, ses candidats, ses dirigeants,  de « couillons ».        Comme vieux « couillon » de 80 ans, je voudrais tracer, à partir de mon vécu, le pedigree de ceux qui, depuis plus de 40 ans nous ont, eux, très largement couillonnés.

 J’ai 80 ans et je suis pensionné depuis maintenant 16 ans ! J’ai eu le temps de découvrir quelle place nous est réservée dans cette société, et à quelle sauce on veut nous faire mourir à petit feu.                                           

On dit souvent que l’on juge la qualité d’une société à la place qu’elle accorde à ses jeunes et à ses aînés.        

La vie dans le système ultra-libéral de l’argent roi, avec des pensions légales parmi les plus basses d’Europe, est difficile pour la grande majorité des seniors. Nous avons fait face à l’explosion des factures de l’énergie suivie d’une hausse insupportable des prix du caddie. De même, la part non remboursée des soins de santé grève de plus en plus notre budget.

Ne plus pouvoir économiser, ne pas pouvoir aider ses enfants ou ses petits-enfants s’ils sont en difficulté, renoncer à tel ou tel voyage, à telle ou telle dépense, c’est le vécu d’une majorité de pensionnés, alors que les profits et les dividendes distribués par les multinationales de l’énergie, de l’agro-industrie, de la finance ou de Big Pharma n’ont, eux, jamais été aussi élevés !

 


Publicité d'AXA pour la pension complémentaire par capitalisation

Dans les années 80, la petite chanson a commencé dans les entreprises : « Vous n’aurez pas assez avec la pension légale, il faut maintenant penser à vos vieux jours »

Sont alors arrivés, les gens des assurance privées, avec leur attaché case et leur plan d’assurance- groupe. On a appelé cela le 2ème pilier, avec des pensions à 2 vitesses : il y avait des contrats plus ou moins intéressants ; des entreprises qui n’avaient tout simplement pas d’assurance groupe. Une part de la somme investie était d’ailleurs un complément d’assurance-vie et pas de pension.

Est aussi venu le 3ème pilier, l’assurance ou épargne pension individuelle. Les assurances et banques se sont rempli les poches avec ce juteux marché.

En même temps, la pension légale, basée sur la solidarité de la sécurité sociale a été détricotée ; elle n’a plus été liée au bien- être.

Personnellement, pour notre ménage plutôt privilégié de 2 pensionnés, le taux net de remplacement, rapport entre les revenus nets du travail et le montant net de nos


Action à la gare de Huy février 2024
deux pensions était autour  de 60%. (Moins encore, si on tient compte des avantages extra légaux propres à certaines entreprises, tels que les chèques - repas, l’assurance hospitalisation, l’assurance - groupe etc.)

Ce système libéral nous a conduit à la situation actuelle : de plus en plus de pensionnés et surtout des pensionnées vivent en dessous du seuil de pauvreté ; et beaucoup rencontrent des difficultés à boucler les fins de mois.

Ce qui est une honte pour un pays riche comme la Belgique.

 La grande majorité des pensionnés sont touchés :les seniors supportent de moins en moins d’être ainsi méprisés et le font savoir : Gang des vieux en colère, CSC Seniors, Prépensionnés et pensionnés FGTB, etc.

 



Nos pensions en Belgique sont parmi les plus basses d’Europe occidentale.

(1)

Taux de remplacement net 2020 (Données OCDE 2020)
En Belgique, un retraité touche en moyenne, en net, 61.9% de son dernier salaire net

Pourquoi ?

Comment est-ce possible, alors que, le département des Pensions a été dirigé, par un ministre socialiste (PSB, puis PS ou SP - spa) pendant 31 années sur 43 ?

Sans interruption, par exemple, de mai 1988 à décembre 2012 !

Les noms de Alain Van der Biest, Léona Detiège, Marcel Colla, Gilbert Mottard, Frank Vandenbroucke, Bruno Tobback, Marie Arena sont dans notre mémoire, avant que les libéraux ne s’emparent du département en 2012, imposent l’âge légal à 67 ans, détricotent le système de pension anticipée et de prépension et tentent, en vain, avec le triste sieur Bacquelaine de donner le coup de grâce au système de solidarité, déjà bien affaibli.



Ministres des Pensions 1977-2024
 
 PS- spa

Parmi les principales raisons, il y a le calcul de la pension sur l'ensemble de la carrière, la fixation  de la "carrière complète" à 45 ans, le taux de 60% (pour les "isolés"), doublé d'un plafond salarial dans le calcul du revenu de pension.
Mais il y a une cause largement occultée : le montant de la pension, qui est une partie différée du salaire, n’a pas été lié à l’évolution réelle, hors index, des salaires bruts.

On appelle cela la liaison au bien-être.

Pourtant en 1972-1973, des ministres socialistes de la Prévoyance sociale, Louis Namèche et Frank Van Acker, avaient fait voter une loi qui ajustait le montant des pensions au bien- être. Chaque année, le Parlement aurait dû définir un coefficient d’ajustement : après une augmentation de 8% en 1973, il avait été établi pour 1974 à 4%. (2)



projet de loi Namèche - Van Acker (votée le 28 mars 1973)

Mais la loi Namèche-Van Acker (3) n’a été appliquée que pendant 3 ans, 
les arrêtés d’exécution n’ayant plus jamais été votés !
Depuis 2007, une « enveloppe bien être » destinée notamment à augmenter les pensions est discutée entre partenaires sociaux et gouvernement tous les 2 ans, mais cela représentait des cacahuètes pour la grande majorité des pensionnés ; dans mon cas, moins de 10€ net par mois tous les 2 ans. 
C’est ressenti comme une aumône aux plus pauvres, non comme l’application du droit pour tous les seniors de vivre dans la dignité.

Actuellement, cette enveloppe concerne un lent ajustement de la pension minimum et, pour le pensionné moyen, un one shot de 2%, 5 ans après le début de la pension.


L’étude du CEPAG estimait, ainsi, le recul du montant des pensions par rapport au niveau des salaires bruts de 1977 à 2018 à un minimum de 82% !

On ne peut comprendre cette dégradation sur le long terme de nos pensions légales de retraite qu’en analysant le rôle déterminant de la Commission Européenne dans leur lente mise à mort.

Celle-ci, vampirisée par les lobbys des multinationales, notamment des banques et des assurances, est à la chasse des « dépenses publiques », responsables, selon elle, des « déficits publics ».

Et les dépenses liées au « vieillissement » sont depuis des décennies dans son collimateur.

Le but, clairement avoué, est de minimiser  la pension légale pour favoriser le développement des  2ème et 3ème piliers  basés sur la capitalisation, assurance collective d’entreprise (appelée souvent assurance groupe) ou assurance individuelle.

S’ouvrait ainsi au secteur financier privé des banques et des assurances, le juteux marché de la « pension complémentaire ».

J’ai connu, dans les années 80, la pression à l’embauche pour rendre  "fortement souhaitable" la participation aux assurances groupe.

40 ans plus tard, 24 entreprises d'assurances et 179 fonds de pension géraient, au 1er janvier 2018, en Belgique, quelques 80,3 milliards € de réserves acquises par 3,7 millions de personnes !

Une résolution du Parlement Européen, sur proposition de la Commission avait été à ce sujet particulièrement claire : "le financement des pensions ne peut être entièrement laissé au secteur public, mais doit reposer sur des systèmes à trois piliers, comprenant des régimes de retraite publics, professionnels et privés, dûment garantis par une réglementation et une surveillance spécifiques destinées à protéger les investisseurs". (Résolution du Parlement européen du 20 octobre 2010 ).

En 2013, le même Parlement européen invitait les Etats membres « à constituer des pensions professionnelles complémentaires par capitalisation" ».


Le salaire différé de la sécurité sociale devient un « investissement » !

Et inévitablement l’écart des revenus se creuse : ce sont les revenus les plus hauts, avec les emplois les plus stables, et les carrières les plus complètes, qui bénéficient le plus de ce système libéral ; les revenus les plus bas, les statuts les plus précaires, les carrières les plus courtes (majoritairement les femmes) sont quasi exclues de la pension complémentaire. 

Ce sont les pensions à 2 vitesses : les travailleurs pauvres deviendront  des pensionnés encore plus pauvres. 

La Commission Européenne ne s’est pas seulement attaquée au montant de la pension légale ; elle a aussi, et recommandé le recul de l’âge de la retraite, et condamner tout système de pension anticipée ou de prépension (RCC).

Et c’est cette orientation qui a été suivie depuis 40 ans par les gouvernements successifs et leur ministre des Pensions (le plus souvent, on l’a vu, socialiste).

C’est Marcel Colla qui, se conformant aux directives européennes, a cosigné l’arrêté royal de décembre 1996 sur l’allongement de la durée du travail des femmes de 60 à 65 ans, au nom de l'égalité de traitement entre hommes et femmes (!). « Égalité » par le nivellement par le bas.


 C’est Frank Vandenbroucke qui a systématisé et   règlementé le système par capitalisation dans la loi sur   les  pensions complémentaires (LPC) de mai 2003. C’est   aussi feu Michel Daerden, qui, dans le « livre vert » de   2010, a appelé les seniors à rester 3 ans de plus au travail   tout en rêvant « d’arriver au seuil du bien-être (1500€)   en   généralisant une pension complémentaire".
 Quant à la ministre Lallieux, elle est parvenue à faire des   économies supplémentaires sur les pensions des   fonctionnaires, tout en mangeant la promesse socialiste   de   rétablir l'âge légal à 65 ans, ne fut ce que pour les   métiers pénibles.

 Mais je n’en ai vu aucun, à ma connaissance du   moins, proposer l’application, avec effets   rétroactifs de la loi Namèche – Van Acker.


On le voit, les 13 ministres socialistes en charge des Pensions ont, sans état d'âme, enfourché le cheval néo libéral ; c'est sans doute le premier secteur public soumis à la privatisation, partielle sans doute, mais aux effets désastreux.

Pour contrecarrer ces politiques libérales, la première chose, c’est de redonner tout de suite sa place déterminante à la pension légale pour tous, en commençant à « rattraper » ce qui nous est dû et en redonnant aux seniors la dignité qu’ils méritent !

C’est dans ce sens que va le programme du PTB pour ces élections du 9 juin  (4) :  

 


·    Les personnes qui ont travaillé toute leur vie ont droit à un revenu décent. Nous augmentons la pension minimale à 1 850 euros net par personne.

·    La pension légale des salariés et des indépendants est portée progressivement à 75 % du salaire moyen ou du revenu professionnel.

·       Nous ramenons l’âge légal de la pension complète à 65 ans.

·       Nous réinstaurons la possibilité de la pension anticipée à partir de 60 ans après 40 années de travail.

·       Les personnes qui ont exercé pendant 35 ans un métier pénible doivent pouvoir prendre leur pension plus tôt.

·       Les plus de 55 ans doivent à nouveau pouvoir bénéficier d'aménagements de fin de carrière assortis d'indemnités afin que le travail reste faisable pour les travailleurs plus âgés.





(1)  PTB : L'écart de pension par rapport à nos pays voisins - Service d'études du PTB | Kim De Witte 2019.

(2)  CEPAG : La liaison à l'évolution des salaires -2018.

(3)  Chambre des représentants : Projet  de loi majorant les pensions des travailleurs salariés 22-11-1972

(4)Programme PTB 2024   https://www.ptb.be/programme/pension


dimanche 18 février 2024

MERCI JOSÉ


 

José Gotovitch, lors du Festival Films et Fascisme- Saint Gilles 2005 
 Photo Résistances Manuel Abramowicz


Samedi 17 février 2024.

Incrédule, je découvre ce matin, la bien triste nouvelle : José Gotovitch nous a quitté … Si vite !

Nous l’avions rencontré, pour la dernière fois, en  mai dernier chez mon frère Michel, qui avait, avec notre regrettée belle-sœur, organisé une rencontre entre amis pour échanger sur son dernier livre consacré à l‘histoire des Jeunesses et Étudiants communistes.



Il y mettait notamment en évidence le rôle de notre père Arthur Tondeur dans la création du premier groupe d’étudiants marxistes à l’ULB en 1930.

De notre côté, nous avions, mon frère François et moi, mobilisé notre passion pour l’histoire, lui en retraçant la vie de nos parents et de leur engagement politique, moi-même en rassemblant les principaux articles de politique étrangère de notre père dans « La Voix du Peuple » d’avant-guerre.

Quel bel après-midi passé ensemble, dans la bonne humeur, l’écoute de chacun, sans oublier le délice des pâtisseries – maison !

Grand moment aussi quand, à quelques-uns ils entonnent la chanson des « Petits-fils des Vétérans du Roi Albert », sorte de confrérie folklorico-guindailleuse qu’ils avaient maintenu en vie pendant plus de 60 ans.


Pour Anne, mon épouse, et moi, José était une vieille connaissance.

Je l’avais rencontré pour la première fois en janvier 1961, lors des grandes manifestations contre la loi unique, auxquelles participaient un solide groupe étudiant, et aux piquets de grève que nous installions sur le campus.


Janvier 1961- Bruxelles: les étudiants sur les marches de la Bourse.

Souvenir particulier aussi d’un soir de février 1961, alors que nous venions d’apprendre l’assassinat de Patrice Lumumba : nous nous sommes retrouvés dans une 2CV, Jean- Pierre Olivier, Michel Graindorge, José et moi pour patrouiller autour de l’ambassade du Congo, rue Marie de Bourgogne. Sans doute, ce repérage devait-il préparer un futur chaulage percutant ?

 

Par la suite, j’avais près de 18 ans et j’ai rejoint l’UNEC (Union Nationale des Étudiants Communistes) dont José était secrétaire national.

Il était aussi directeur de la revue de bonne facture des Étudiants Communistes, « En Avant ».


Ces années 61-62 à l’UNEC ont été riches en rencontres, en débats, en actions.

J'y revois José, à la conférence nationale de l’UNEC, en février 1962, à un week end de formation sur le  « XXIIème Congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique » avec Ernest Burnelle, à un stage de vacances des EC à l’été 1962 à Rochehaut, dans la vallée de la Semois, à la nuit de Nouvel An 62 à Athis et  à une folle nuit au « Petit Lénine » petit café de la rue des Chapeliers, le 14 avril 1961 pour fêter le vol de Gagarine dans l’espace.



Les meetings, les manifs aussi : Cuba, l'Algérie...
.
Sans doute faisait-il aussi partie du groupe des EC participant à la Semaine de la Pensée Marxiste à Paris….



Par la suite, nos chemins se sont séparés : nous nous sommes engagés, Anne Wildemeersch et moi, dans le courant dit « prochinois » animé par Jacques Grippa, alors que José, fidèle au Parti Communiste « officiel », entamait un brillant parcours universitaire d’historien du communisme, en particulier pendant la IIe guerre mondiale.

Je le rencontrerai alors par livre interposé, en découvrant avec grande curiosité « L’an 40 » ou « Du Rouge au tricolore », pour lequel il avait par ailleurs   interviewé mon père.

 

J’ai retrouvé José 50 ans plus tard. Nous organisions à Liège, à La Braise, avec Hubert Hedebouw, un cycle de conférences et de débats sur la « Grande Guerre » (« Un autre regard sur la guerre 14-18 »)

 José y avait naturellement sa place   comme conférencier, et il a accepté   bien volontiers de nous parler du   Conseil révolutionnaire de soldats   dans  l’armée allemande d’occupation   en novembre 1918 à Bruxelles.

 Comme toujours, exposé clair,   passionnant, rigoureux, pas du tout   académique : il savait faire aimer   l’histoire à son public.



La Braise - Liège- 15 avril 2015 : 

Depuis, nous sommes restés en contacts réguliers ; et au fil de mes lectures, j’ai découvert de multiples ouvrages et articles de José : ici, sur la Guerre d’Espagne, là  les biographies du Maîtron ou du CArcob, là encore un docu sur la grève des mineurs liégeois en mai 1941.

Je (re)découvrirai ainsi un  José, pourtant professeur honoraire de réputation mondiale, à l’autorité scientifique reconnue, non seulement  homme jovial et passionné, ouvert, toujours à l’écoute, respectueux de chacun, mais aussi comme un camarade, historien militant, prêt à donner de lui-même quand cela pouvait faire avancer à la base l’incontournable connaissance de l’histoire.

Alors qu'il avait décidé mordicus d'arrêter les conférences, il me confiait après une rencontre dont il n'était pas au courant : « Tu sais que je suis toujours dispo pour ce genre de choses ». 

Fait remarquable: il ne s'est pas laisser enfermer dans les soubresauts idéologiques mortifères du déclin du parti communiste. Au contraire, il a fait du CArcob, (centre des Archives communistes), un centre d'archives reconnu et s'est imposé comme historien, par belles et par laides,  de tout son passé... y compris de ses moments glorieux.



Son œuvre est considérable.
 Elle est aussi fondamentale.

A l’heure du révisionnisme historique tous azimuts, quand jusque sur les bancs du Parlement européen, le communisme est assimilé au nazisme, l’œuvre de José Gotovitch, comme un roc scientifique et inattaquable, rétablit la vérité historique : la Résistance à l’axe Berlin-Rome-Tokyo, faite de multiples obédiences politiques dans lesquelles les combattants animés par "l’idéologie communiste » et l’amour de leur patrie, a  joué un rôle important, voire décisif et fait partie, à tout jamais, de la mémoire des peuples d’Europe et du monde.

Gotovitch était signataire de ce manifeste (2/10/2019) d'intellectuels et professeurs 
belges, paru dans « La Libre » en réponse à la résolution du Parlement Européen (19/09/2019)





Son oeuvre nous interpelle aussi sur l’importance de la connaissance historique : on ne peut pas comprendre le monde d’aujourd’hui, pour pouvoir  le transformer, sans bien connaître et en analyser le passé.

C’est pourquoi, bien plus qu’une œuvre académique, c’est un outil de combat qu’il nous laisse.

Aux jeunes camarades de le faire vivre, de s’en servir comme éclairage pour les combats futurs.

Et à nous tous de lui dire :

« MERCI JOSE »

mercredi 25 mai 2022

CHRONIQUES D'UNE GUERRE ANNONCÉE (4) E.PARISET - 1936-1939 : ESPAGNE ( NON - INTERVENTION, NEUTRALITÉ BELGE), CHINE, ÉTHIOPIE.


Ce quatrième et dernier fascicule des Chroniques d'une guerre annoncée de E. PARISET, nom de plume de mon père Arthur Tondeur (1908 - 1999), regroupe les articles, écrits pour le quotidien La Voix du Peuple, traitant  essentiellement de la Guerre d'Espagne entre juillet 1936 et avril 1939. 
Devant l'abondance d'articles couvrant une actualité quotidienne  de près de trois ans,     j'ai choisi de me focaliser sur l'aspect international du conflit, particulièrement maîtrisé par Pariset :  la politique de "non-intervention", pratiquée dès juillet 1936 par la France de Léon Blum et l'Angleterre, d'une part, et d'autre part, l'intervention massive en hommes et en matériel, sur terre, dans les airs et en mer, des puissances fascistes de l'Axe Rome-Berlin, la mise en veilleuse de la SDN.
Le blocus sur les livraisons d'armes, fondé sur un contrôle aléatoire des frontières et des ports, asphyxiait la République du Frente Popular, tandis que les CTV (Corpo di Truppe "Volontarie") italiens et la Légion Condor nazie, surarmés en chars, mitrailleuses et avions renforçaient les troupes franquistes des "Regulares" du Maroc espagnol et des légionnaires du Tercio.
Cette politique de "non-intervention" largement commentée dans les articles de Pariset s'inscrit dans la politique "d'apaisement", en fait de capitulation des capitales occidentales, ( Londres et Paris  donnent le tempo), face au bloc agressif italo-allemand, politique dont la dénonciation est au centre des fascicules précédents (fascicule  1&2 sur l'Autriche, la Tchécoslovaquie et Munich ; fascicule 3 consacré à l'année 1939).
Si elle est loin d'être la seule cause de la défaite républicaine, les causes internes étant toujours déterminantes, elle y a, incontestablement,  joué un rôle fondamental.
A la non intervention, répondait le combat héroïque du peuple espagnol, appuyé par l'engagement internationaliste des Brigades internationales, le mouvement mondial de solidarité, livraisons de vivres, de charbon, mais aussi d'armes clandestines, l'appui en tant qu' États des seuls Mexique et Union soviétique. 

L'intérêt particulier de cette sélection réside aussi dans les analyses par Pariset de la
politique étrangère  belge, menée de concert par le ministre- Premier ministre Spaak, et par le roi Léopold III, aussi bien  vis à vis de l' Espagne, que  plus généralement sur le positionnement "neutre", "indépendant" de la Belgique dans le concert des nations européennes, à la veille de IIe guerre mondiale.
Toutes les organisations, politiques ou syndicales, ont été secouées par ces années  d'Espagne  et,  le POB particulièrement, a vu en son sein l'affrontement entre sa  droite gouvernementale voire syndicale, et le mouvement venu d'en bas, antifasciste, internationaliste, de la solidarité  et du large soutien à l'Espagne républicaine.
Ces "Chroniques" abordent également, à travers quelques  articles, hélas trop rares, les agressions du militarisme japonais en Chine, et de l'Italie fasciste en Éthiopie,  permettant ainsi d'échapper à une approche européocentriste : la seconde guerre mondiale a d'abord germé en Asie (Mandchourie 1931), puis  en Afrique (Éthiopie 1935), avant de frapper aux portes de l'Europe, de Madrid à Vienne, à Prague et Varsovie, pour ensuite, de 1939 à 1945 enflammer le monde entier. 
Bonne lecture.

Texte intégral en pdf -200 pages

CHRONIQUES D'UNE GUERRE ANNONCÉE  - FASCICULE 4 -  E. PARISET (1933-1939. ESPAGNE ( NON - INTERVENTION, NEUTRALITÉ BELGE), SPAAK et le POB
CHINE, ÉTHIOPIE.



Version papier 
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Extrait
 PARISET 26/09/1936 VduP

"Nous ne de­mandons pas que le gouvernement belge envoie au gouvernement espa­gnol ses escadrilles et ses pilotes comme conti­nuent à le faire l’Italie, l’Allemagne et le Portugal. Nous demandons simple­ment la liberté pour l’Espagne démocratique de se procurer dans le com­merce les armes, les munitions, les engins dont elle a besoin".

« Dans les premiers jours de la guerre civile, nous possédions plus d'avions que les rebelles. Aujourd'hui, après deux mois de « neutralité », ils ont une aviation supé­rieure à la nôtre dans la proportion de 12 à 1 ». Rien ne souligne mieux que cette déclaration du ministre de l'Air du nouveau gouvernement espagnol, le socialiste Prieto,[1] l'effroyable duperie que constitue la po­litique de « neutralité » dont le Gouvernement Léon Blum a pris l'initiative à l’instigation des « "Die-Hards2]" britanniques. Cette politique a été chaleureusement accueillie, au nom de la paix internationale, par tout ce que notre pays compte de réactionnaires et de fauteurs d'aventures.

Notre gouvernement d'Union Na­tionale qui prête trop souvent une oreille complaisante à leurs injonc­tions s'est empressé de s'y rallier sans réserve. Lorsque, par des faits évidents, nous montrons qu'elle revient à un blocus unilatéral du gou­vernement régulier d'une nation amie on nous répond que nous prê­chons l’intervention et la guerre. Non, non et non ! Nous ne de­mandons pas que le gouvernement belge envoie au gouvernement espa­gnol ses escadrilles et ses pilotes mi­litaires comme l’ont fait et conti­nuent à le faire l’Italie, l’Allemagne et le Portugal. En dépit de leur « adhé­sion » au principe de neutralité, ni Hitler, ni Mussolini n'ont rappelé les officiers italiens et allemands qui participent à la guerre dans les ar­mées du rebelle Franco. En fait, les gouvernements de Rome et de Berlin font au gouvernement constitu­tionnel de Madrid une guerre non déclarée.

Nous ne demandons pas qu'on les imite, nous ne demandons pas l’intervention de la Belgique démocratique en faveur de l’Espagne démo­cratique. Nous demandons simple­ment la liberté pour celle-ci de se procurer normalement dans le com­merce les armes, les munitions, les engins dont elle a besoin pour ma­ter une minorité de factieux que hait l’immense majorité du peuple espagnol. Et nous ne pouvons que nous étonner de l’étrange « neutralité » qui consiste à suspendre la con­vention commerciale entre l’Espagne et la Belgique, en invitant indus­triels et commerçants à refuser tout crédit dans leurs transactions avec l’Espagne démocratique.

Il y a aus­si des choses que nous trouvons étranges. Lorsqu’à Anvers la vigi­lance ouvrière empêche l’expédition de trains entiers d’armes destinées aux

rebelles, que les services de douane n’avaient pas « remarqués », le gouvernement se borne à retour­ner ces envois à leur expéditeur, en l’invitant sans doute à les réexpé­dier plus discrètement par d’autres voies ; c'est tout juste si on ne lui fait pas des excuses.  Mais lorsque quelques caisses de fusils et de cartouches sont embar­quées à Ostende et paraissent desti­nées aux gouvernementaux, la doua­ne devient soudain très perspicace ; le gouvernement fait saisir ces ar­mes et ordonne une enquête à grand spectacle pour châtier les coupa­bles.

Alors les travailleurs, les démo­crates commencent à trouver que cette neutralité ressemble étrange­ment à celle de M. Salazar. Les uns et les autres commencent à trouver que cette mauvaise plaisanterie n’a que trop duré. Et le citoyen Delattre aura beau les renvoyer à Moscou, ils sont citoyens belges et c’est au gouvernement belge qu’ils ont à de­mander des comptes. Avec la CGT française, avec le Rassemblement populaire fran­çais unanime, avec tous les antifas­cistes du monde, ils réclament la le­vée du blocus et la liberté des transactions commerciales réguliè­res avec le gouvernement de Madrid.

Ils ne permettront pas qu’Hitler et Mussolini assassinent tranquillement la démocratie en Espagne pour se retourner ensuite contre la démo­cratie française et contre nous !

 PARISET  26/09/1936


[1] Indalecio Preto (1883 – 1962) : dirigeant du Parti Socialiste Ouvrier d’Espagne (PSOE). Ministre de l »’Air et de la Marine, puis de la Défense nationale) (1936 -1938)  dans  les gouvernements de Front Populaire.

[2] Die Hards : expression désignant les ultra- conservateurs.